Ses vêtements sont vénérés, son histoire est méconnue. Créateur de la marque Stone Island, Massimo Osti était un homme complexe, dense. Obsédé par la quête du progrès technique et humain, il a consacré sa vie à créer des vêtements innovants et fonctionnels, sans jamais résoudre un dilemme intérieur : peut-on faire de la mode en étant communiste ?
Par Lucas Duvernet-Coppola, à Bologne.
Article originellement paru dans le numero 3 de l'Étiquette.
En 1999, Massimo Osti, 55 ans, est élu « homme le plus influent de la mode masculine des années 1990 » par Arena Homme +, magazine mode de référence à l’époque. « Les marques Prada, Helmut Lang, Ralph Lauren, Hugo Boss et Diesel ont une dette énorme envers cet homme », explique le bi-annuel, qui place Osti devant Giorgio Armani ou Paul Smith. Pourquoi lui ? Parce qu’il a « donné à l’homme cette nonchalance qu’il n’avait jamais eue », témoigne un spécialiste. « Parce qu’il est le premier à avoir fait du t-shirt un vêtement à part entière et de la doudoune un manteau à porter en ville », affirme un proche. « Il est l’inventeur du sportswear tel qu’on le conçoit encore aujourd’hui », résume un créateur. Respecté par ses pairs, qui l’étudient depuis ses débuts dans les années 1970, encensé par les observateurs de la mode, le designer est pourtant parfaitement inconnu du grand public. Injuste ? « Logique, reconnaît, laconique, son fils Lorenzo. Il faisait tout ce qu’il pouvait pour se tenir le plus loin possible du monde de la mode. » Massimo Osti n’aimait ni les projecteurs, ni les estrades. Il n’aimait pas non plus qu’on le qualifie de « styliste ». Quant à la mode, il a longtemps cherché son sens. Un jour de février 1993, il accordait un entretien au quotidien communiste L’Unità : « La mode est ce que l’on porte volontiers. Être (ou pas) à la mode est un état d’âme, quelque chose de très personnel. » Plus loin : « C’est uniquement en repensant le vêtement en termes d’années, et non de saisons, que l’on pourra garantir une qualité permettant de faire oublier l’overdose de mode que ressentent certains consommateurs. » Massimo Osti n’apposa son nom à une ligne de vêtements que l’espace de deux ans, entre 1995 à 1997. Il voulait que ses créations soient plus connues que lui, et y est si bien parvenu qu’aujourd’hui encore, seule une poignée d’initiés sait qu’il est l’homme dissimulé derrière onze marques, dont les cultes C.P. Company, et, surtout, Stone Island.
DES T-SHIRTS DE PLAGE ET DES POP-UP
1963. Massimo Osti est embauché comme commercial chez le constructeur de pneus Pirelli. C’est un travail alimentaire de plus : la mort de son père, dans les bombardements de Bologne en 1944, quelques mois après sa naissance, l’a contraint d’arrêter l’école à 13 ans pour aider sa mère à subvenir aux besoins du foyer. Moments tristes dans une période légère : la Bologne de l’époque est une fête. « À cette époque, il n’y avait pas de violence, pas de drogues, pas de névroses », s’émer- veille encore Lucio Desti. Celui-ci se présente comme « un ami de drague et de rue », mais il est bien plus encore : le frère d’arme et de cœur de Massimo Osti. Les deux hommes se ren- contrent à ce moment-là et ne se quitteront plus. « Nous aimions boire du vin, sortir, et discuter jusqu’à tard », raconte-t-il. Dans les bars, sur les places, le jeune Massimo n’est pas le plus bavard. Il est celui qui observe tel un sociologue, et qui remarque tout : ces hippies qui portent d’anciennes vestes militaires ; ce besoin nouveau d’écologie et de solidarité ; le pop art qui s’apprête à déferler sur le monde. L’époque change à vue d’œil. Le soir, après le service, Osti suit un cursus de graphisme publicitaire. Quatre ans après son arrivée à la Pirelli, il obtient son diplôme et quitte le géant de la pneumatique avec une intuition en tête : le vêtement est un moyen de communication comme un autre.
En Italie, les hommes n’ont alors que deux façons de s’habiller. Costume-cravate, la tenue de la semaine. Pantalon de ville et pull, pour le week-end. « Personne ne mettait de t-shirt, contextualise Desti. Seuls les ouvriers pouvaient en porter, aux couleurs de leur entreprise. » En 1968, Osti fonde avec Desti et Giorgio Sgor- bati une agence publicitaire, la CD2. L’une des premières initiatives du trio consiste à solliciter l’ensemble des offices de tourisme de la Botte. L’idée : imprimer des images sur des t-shirts pour promouvoir le territoire. La Sardaigne est la première région à se lancer. Osti a l’idée d’appliquer au textile cette technique qu’emploient alors sur du papier tous les artistes américains en vogue : la sérigraphie. Pour vendre leurs t-shirts, beaux comme des tableaux, les trois hommes proposent aux boîtes de nuit en vue de l’île d’installer des boutiques éphémères. « Nous étions ouverts de 23 heures à 3 heures du matin, et les t-shirts s’arrachaient, loue le frère d’arme. Les gens n’avaient jamais vu ça.»
Il faut deux étés sardes, une première entreprise de t-shirts, et quelques dizaines de milliers de pièces vendues pour que Raimondo Cattabriga propose à Massimo Osti de lancer sa propre ligne de vêtements pour homme. Le Bolognais entre dans le monde de la mode en néophyte et travaille comme un pur graphiste. Il utilise des transparents, de l’encre, des photos de journaux. La première collection de sa marque, Chester Perry, sort en 1971. Après les sérigraphies, Ostie continue d’innover. « Lors de la deuxième collection, il a sorti les toutes premières doudounes de ville ( ndlr : inventée à la fin des années 1940 par l’ingénieur américain Klaus Obermeyer, puis popularisée par Moncler, la doudoune n’était jusque-là portée qu’à la montagne ), les gens étaient fascinés, développe Desti. Tout le monde se sent plus frais, plus vif, plus jeune dans une doudoune. Massimo Osti a dédramatisé la façon qu’on avait tous de s’habiller. » Le succès est également commercial. Plutôt que d’épargner, ou d’assurer ses arrières, le créateur investit tous les bénéfices dans ce qui sera le grand combat de sa vie : la recherche.
Le cerveau de Massimo Osti est trop rationnel pour ne regarder la mode que par le biais du beau. L’homme est habité par le fonctionnalisme. « Il avait fait sienne la for- mule de l’architecte américain et père des gratte-ciels, Louis Sullivan, “Form follows function”, renseigne sa fille, Agata. La forme suit la fonction. Quand il faisait un vêtement, il se demandait comment il allait être utilisé, quelles fonctions il devait accomplir. » Des émissaires sont envoyés aux quatre coins du monde pour ramener différents vêtements, conçus à différentes périodes. Osti veut étudier l’habillement d’hier pour concevoir celui de demain. « Quand on observe un bleu de travail, on peut noter une déformation structurelle sur le coude, due à l’usure et à la tension particulière à laquelle est soumis le tissu, confiera-t-il un jour de juin 1997. Pourquoi ne pas dessiner dès le départ cette déformation sur un modèle ? » Le Bolognais ne jette rien. Il investit un immense hangar et le remplit de milliers de vêtements, ses archives. Elles contiendront jusqu’à 35 000 pièces. Dans sa quête, Osti se pique d’un intérêt particulier pour les tenues des soldats. Tout, dans un vêtement militaire, estime-t-il, sert à quelque chose. En outre, le secteur n’a jamais connu de problème de marché, puisque les pièces ne sont pas à vendre : la qualité est donc exceptionnelle. « C’était un enfant de la guerre, et il a transformé ça en vêtement de la paix », estime le styliste français François Girbaud, qui fut son ami. « Massimo ne voulait rien inventer, ajoute Lucio Desti. Il voulait prendre ce qui était là et l’optimiser. »
DES BÂCHES DE CAMION MILITAIRE ET DES CAPUCHES À LUNETTES
Osti est un ovni dans le milieu de la mode, et ses pratiques commerciales vont à contre-courant des usages du secteur. « Massimo pensait que chaque famille de produit devait avoir sa marque », raconte Desti. Quand, en 1977, il commence à s’intéresser aux vestes et au tricot, le Bolognais lance Factory. « C’était plus important pour lui que de consolider Chester Perry, justifie le bras droit de toujours. La différence de nom consentait une élasticité par rapport aux clients et aux distributeurs. Aujourd’hui, n’importe qui préfèrerait utiliser la marque déjà existante pour ne pas repartir de zéro. Pas Massimo. » Un an plus tard, après que Chester Barry et Fred Perry ont porté plainte pour parasitisme, Chester Perry devient C.P. Company. Le nom de l’enseigne, « sec, qui évoque l’Amérique sans rentrer dans le détail », plaît à Osti. Il souhaite en faire une marque d’avant-garde dans l’expérimentation du tissu et des formes. Pour ce faire, il est déjà entouré des meilleurs. Giuliano Balboni est son responsable des impressions et des teintures. Adriano Caccia, spécialiste des tissus spéciaux, son binôme dans la recherche textile. Osti transfère des détails techniques sur des vestes de ville, crée des manteaux multi usages, réversibles, à doublures, parfaitement étanches. Rapidement, on dit de lui qu’il est « l’inventeur de l’urban sportwear », ou du « high tech casual wear » Puis, un jour, Massimo Osti demande à Adriano Caccia de s’atteler à l’étude des bâches de camion militaire. « Il voulait à tout prix que le matériel de départ soit la toile brute non blanchie pour donner un effet de couleur plus naturel, se souvient aujourd’hui ce dernier, mais cela créait des problèmes à la teinture. Je disais souvent : “Ce n’est pas possible”, et lui répondait : “Essaie, et on verra”. Après plusieurs dizaines de tentatives infructueuses, Osti fournit à Caccia un morceau de toile de deux couleurs, rouge d’un coté, vert de l’autre, et lui demande de le laver encore plus énergiquement que les fois précédentes.
Osti juge le matériel obtenu si agressif, si anticonformiste, qu’il décide de créer une nouvelle marque pour lancer ce produit inédit baptisé Tela Stella. Il demande à son épouse de trouver un nom dans un roman de Joseph Conrad. Elle note : Stone. Elle note : Island. La rose des vents, située sur la boussole du voilier familial, inspire le logo de la griffe. Et marque le sens du voyage d’Osti. « Je conçois des vêtements pour ceux qui voyagent aux quatre coins du monde et qui évoluent à travers différents environnements : la nature, le trafic, la pollution, l’aventure urbaine. »
Osti utilisera la Tela Stella pour composer tous les vêtements des trois premières collections de Stone Island. Le prix des pièces, à la hauteur des recherches effectuées et de la qualité du revêtement, pourrait être un obstacle à la vente. Mais l’aspect rude, usé, et totalement inédit du matériel est tel que dès les premières semaines de lancement, en 1982, la marque n’est pas en mesure d’honorer toutes les commandes passées. Tandis que l’industrie se demande comment l’autodidacte est parvenu à pareil résultat, Stone Island devient l’étendard d’un petit groupe de jeunes Milanais qui s’apprêtent à conquérir l’Italie : les Paninari ( ndlr : voir L’Étiquette n°2 ). Nés sur les cendres des années de plomb, ils cherchent à se différencier de la masse. Ils veulent les vêtements les plus modernes et les plus chers. D’extrême droite, ils voient aussi dans la rose des vents une réminiscence de la croix celtique prisée par les néo fascistes. La marque paraît indiquée pour leur mode de vie, fait de poses, de dragues, et de bagarres de rue, ou bien de stade, qu’ils fréquentent volontiers dans les virages populaires. Lors des déplacements européens de leurs équipes favorites (Inter, AC Milan), les vestes Stone Island fleurissent sur les épaules des ultras italiens. Les Anglais les repèrent et, foudroyés par tant de style, rentrent à leur tour dans la danse.
« À cette période, Stone Island devient alors un symbole de rébellion, de force, d’anticonformisme, de lutte et de réussite, se souvient l’un des fans du créateur. Porter du Stone Island, à l’époque, mais aussi maintenant, c’était intégrer une tribu. On se reconnaissait les uns les autres dans la rue. On avait le sentiment d’être lié par quelque chose de fort. » Mais cela, Osti le réalisera quelques années plus tard. « Mon père n’avait rien à voir avec le football, précise Lorenzo aujourd’hui. Il venait d’une famille de basket supportrice du Virtus. Il ne savait pas, alors, que des jeunes Anglais volaient ses habits et que les supporters arrachaient même la rose des vents sur les vestes des supporters adverses comme un trophée. Il n’avait absolument pas conscience d’être une icône pour les supporters et la classe ouvrière britannique. »
Osti ne se rend pas compte du mouvement qu’il a lancé car il ne s’offre aucun répit. « Ce qui était fait, était fait, abonde Agata, la fille. Il avait toujours un projet en cours qui l’absorbait plus encore que le précédent. Son insatisfaction était permanente. » Le succès augmente son estime, son estime accroît son ambition. 1983 : sortie du tissu JJ23, un coton recouvert d’une fine couche de PVC, et de l’iconique blouson à capuche Raso Gommato, combinant l’élégance du satin et la fonctionnalité du caoutchouc. 1985 : sortie du premier numéro de C.P. Company Magazine. 1986 : C.P. Company produit 1 200 000 vêtements, dont 25 % sont siglés Stone Island et 35% sont vendus à l’étranger. 1987 : création de l’Ice Jacket, qui change de couleur selon les variations de température grâce à la présence dans le tissu de cristaux liquides. « Le territoire que j’explore est toujours le même, synthétisera-t-il un jour. J’adapte des matériaux nés pour un usage à un usage différent. Je ne saurais expliquer mon travail autrement. » À la fin des années 1980, Osti est unanimement considéré comme l’un des plus grands. « Ses habits sont les plus sophistiqués et les plus intelligents qu’on produise en Italie », écrit le magazine Mondo Uomo. Milan, en passe de devenir la capitale mondiale des créateurs, lui fait les yeux doux, mais le Bolognais refuse de quitter sa ville natale. Seules l’intéressent ses propres règles du jeu. L’idée même de faire des défilés l’insupporte : « C’est inadapté pour présenter des habits qui ont demandé autant de recherches. » À ce principe érigé en valeur cardinale, Massimo Osti ne fera qu’une entorse, le 19 septembre 1987, dans la Citadelle de Spandau, à Berlin Ouest. Ce jour-là marque peut-être le sommet de la carrière du designer. La ville, qui fête ses 750 ans, associe la célébration aux 150 ans de la naissance de l’industrie textile. Le maire de Berlin Ouest et le sénateur à l’Économie et au Travail organisent une rétrospective consacrée à l’œuvre du Bolognais et sobrement intitulée Quinze ans d’activité de Massimo Osti pour C.P. Company. L’exposition regroupe 75 habits crées par Osti entre 1979 et 1987. Le défilé ne ressemble à aucun autre : Osti met en scène une performance musicale et théâtrale. Des mimes, qui représentent les aventures de héros métropolitains, changent d’habits au gré des différents bruits auxquels ils sont confrontés : celui des voitures, des machines de travail, de la ville, de la mer, du vent.
On pourrait croire Massimo Osti heureux : la maison familiale, située sur les collines de Bologne, est toujours ouverte et ne désemplit pas. « Dès 19 heures, chaque soir de la semaine, les premiers amis arrivaient », se souvient Lorenzo. Il y a Lucio Dalla, l’un des auteurs-compositeurs les plus en vue de son temps ; d’autres artistes à succès, réputés pour leur profondeur (Pino Daniele, Gianni Morandi) ; quelques acteurs et actrices ; des intellectuels ; des amis d’enfance. Osti reçoit beaucoup, mais ne sort jamais. « Il n’aimait pas voyager et détestait les mondanités, abonde Lorenzo. Quand il n’était pas à la maison, il était dans son atelier, et travaillait, toujours, tout le temps. » Il est encore auréolé de son succès berlinois lorsqu’il crée, en 1988, l’une de ses pièces les plus célèbres : la Goggle Jacket, ou Mille Miglia. Inspirée par les vestes des policiers japonais, celle-ci est équipée d’une capuche agrémentée de lentilles de protection et devient immédiatement l’accessoire privilégié des fauteurs de trouble de tous horizons ( et pour cause : les lunettes de protection protègent du gaz lacrymogène et masquent le visage, le rendant beaucoup plus difficilement identifiable ). En vérité, Osti se noie. « Le travail a fini par devenir le lieu du sacrifice total et de sa réalisation existentielle sans réserves, déplore Lucio Desti. Cela l’a tout simplement empêché de vivre. Plus le temps passait, plus son refus total des compromis devenait un poids. Il est devenu victime de sa propre histoire. » Une autre chose préoccupe Osti : ses vêtements, souvent hors de prix, sont peu compatibles avec sa vision du monde. Car le Bolognais n’est pas qu’un créateur : il est, avant toute chose, profondément de gauche.
DES IDÉES RÉVOLUTIONNAIRES ET DES COMBATS POLITIQUES
« Il est facile de vendre des choses belles et recherchées aux riches, confia-t-il un jour. Fabriquer des vêtements beaux et fonctionnels au moindre coût, voilà le vrai défi. » Toute la vie du créateur sera marquée par ce conflit intérieur. « Massimo voulait dépasser la société de l’hyper-consommation alors qu’on ne parlait même pas encore de ça, traduit Stefano Bonaga, philosophe italien et ami d’Osti. Il voulait que la mode ne soit pas réservée à une élite, qu’elle ne traduise pas une distance de classe. » « Il faisait des vêtements pour protéger les gens, pour protéger l’humanité », renchérit Girbaud. Dès 1981, alors que C.P. Company est largement imité par la concurrence, il lance Boneville, « comme pour s’auto-copier, éclaire Bonaga. C’était la même chose que C.P., à des prix bien plus abordables. » Bonaga est sans doute le mieux placé pour évoquer les dilemmes d’Osti : la mode, bientôt, ne lui suffit plus pour exprimer sa vision du monde. En 1989, il s’engage en politique, et Bonaga est de la partie. Le déclic ? « Notre parti, le Parti Communiste Italien, avait la fâcheuse tendance de se rapprocher du Parti Socialiste, rejoue Bonaga. Ce n’était pas concevable pour nous, alors, tout en restant au sein du PCI, nous avons crée un petit groupe autonome, plus à gauche que la ligne qui s’imposait comme officielle. » Le groupuscule, Constituante Démocratique, compte trois fondateurs : Osti, Bonaga, et Omar Calabrese, un sémiologue réputé pour avoir été l’élève d’Umberto Eco. Les trois hommes rédigeront un fascicule, Quelques idées concrètes pour un programme de peu de mots. Ils souhaitent endiguer la crise de représentation qui pointe le bout de son nez, exigent qu’Internet, dont personne ne mesure réellement la portée, soit gratuit pour tous les citoyens, et considèrent l’écologie comme centrale.
Osti est élu conseiller municipal à Bologne en 1991. Sa campagne prend la forme d’un long métrage, Voix et visages des idées, dans lequel il donne la parole à des citoyens de sa ville. La chose publique, néanmoins, n’adoucit pas ses frustrations. S’il est d’accord pour que le PCI s’éloigne de Moscou et modernise son image pour glisser vers un progressisme européen, Osti estime que le Parti ne communique pas de façon pertinente. Il propose ses services, qu’on lui refuse. « Le Parti pensait que ses idées étaient trop en avance », regrette Bonaga. La même année, il défend corps et âme un projet futuriste appelé Progetto Toro : un anneau périphérique à l’intérieur du centre historique de Bologne, souterrain, recouvert de jardins, parsemé de magasins, de bibliothèques, de parkings. L’ensemble, prévu pour l’an 2000, se veut une réponse aux problèmes de pollution, et d’embouteillages. Examiné en conseil de la ville, le programme, jugé « trop utopique », n’est pas approuvé. Osti s’impliquera quelque temps encore, réalisera une campagne pour le PDS ( Partito Democratico della Sinistra, post-communiste ), pour aider ses camarades à dépoussiérer la faucille et le marteau. Trop accaparé par sa marque pour honorer sa tâche, il quittera ses fonctions en 1992.
Si l’on peut considérer l’exposition de Berlin comme un sommet, alors cette année 1992, affirme Lorenzo, peut représenter « le début de la fin ». En janvier, pour passer plus de temps avec les siens, Osti cesse toutes ses activités au sein de C.P Company. En mai, Carlo Rivetti, industriel italien détenteur de licences de nombreuses marques italiennes, entre au capital de Stone Island, et en devient président. « Il a renvoyé mon père, dit Lorenzo. Ces deux egos étaient trop forts pour travailler ensemble. Au faîte de son succès, il a été éloigné de l’entreprise qu’il a créée. Le trauma a été considérable. » Le lancement en 1995 de Massimo Osti Production aurait pu être son moment de lumière, après tant d’années passées à se cacher derrière des prête-noms. Hélas, en 1997, le designer est contraint d’arrêter la production : le manager avec qui il s’est associé est un bandit. « C’était un professionnel de la fraude, qui falsifiait les bilans, et n’était là que pour escroquer mon père », s’indigne Lorenzo. Osti, coupable d’avoir signé les comptes sans réaliser la supercherie, doit passer à la caisse. La moitié de la fortune accumulée depuis près de trente ans sert à éponger les dettes et honorer les impayés. Pour se relancer, il entame alors une collaboration avec Levi’s, à laquelle il croit dur comme fer, mais le succès est passé.
« Il voulait alors tout arrêter, et est tombé en dépression au début des années 2000 », dit Lorenzo. Pour noyer son spleen, Osti continue ses activités politiques, combat comme il le peut le berlusconisme, s’engage pour les quartiers défavorisés de sa ville. Mais le vague à l’âme est trop fort. « La dépression s’est transformée en tumeur », raconte Lorenzo. En 2005, Massimo Osti décède d’un cancer des poumons. « Massimo, au fond, souffrait beaucoup, croit savoir Bonaga. Mais c’est parce qu’il était si intolérant qu’il était si novateur. Il n’aimait pas les choses telles qu’elles étaient : ni sur un plan esthétique – dans la mode –, ni d’un point de vue des sentiments entre les hommes, ni sur le plan de la politique, ni d’un point de vue sociétal. » Quinze ans après sa mort, alors que ses vêtements continuent d’être vénérés, les obsessions de Massimo Osti reposent dans les archives que ses enfants ont reconstituées, dans un vaste hangar, à côté d’une caserne militaire, quelque part au sud de Bologne.