Demna Gvasalia : son histoire vraie

Son histoire vraie Demna Gvasalia

À la tête de la maison de mode Balenciaga, le directeur artistique géorgien crée des vêtements importables que tout le monde s’arrache. Mais comment fait-il ?

Par Gino Delmas et Thibault Barle
Article originellement paru dans le numéro 7 de L'Etiquette

 

Ne dites pas « Demna Gvasalia ». Dites « Demna », tout simplement. L’air de rien et le plus naturellement du monde. Dites « Demna » comme si, bien sûr, vous le connaissiez. D’ailleurs, vous le connaissez forcément. Depuis des mois, la mode ne parle que de lui, d’événement en coup d’éclat et de coup d’éclat en buzz retentissant. Juillet, à Paris : Demna livre un défilé haute couture grandiose, le premier de Balenciaga depuis 1967. Août, à Atlanta : Demna met en scène le show épique de Kanye West à l’occasion de la sortie de son album Donda. Septembre, à New York : Demna fait l’actualité en cachant Kim Kardashian derrière une combinaison intégrale, en spandex noir, lors du Met Gala. Octobre, de retour à Paris : Demna dévoile sa nouvelle collection dans le cadre d’un épisode inédit des Simpson, dédié à Balenciaga. Que nous réserve Demna pour novembre ? Et décembre ? Certains trépignent, on s’interroge.

Qui est cet homme ? Comment travaille-t-il ? Que faut-il voir dans son succès retentissant, à la fois critique, populaire et économique ? Surtout, en quoi consiste son génie ? Est-ce celui d’un homme de marketing sachant tirer les bonnes ficelles ou celui d’un artiste contemporain visionnaire en phase totale avec une époque qui rebat le goût ? Est-il en mission, comme le prophétise un proche camarade de jeu, pour « démocratiser la mode », à défaut de démocratiser ses prix ? Ou ambitionne-t-il plutôt, comme le prétend un autre, de « changer radicalement la silhouette » des gens ? Tant de questions, mais une évidence : quoi qu’on pense de ses vêtements, Demna Gvasalia est fascinant. Pardon. Demna est fascinant.

 

D’ANVERS À PARIS
Cette histoire-là, son histoire avec la mode, commence en Belgique, en septembre 2003. Le Géorgien fait son entrée à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, réputée pour avoir couvé, entre autres, Dries Van Noten, Martin Margiela et Raf Simons. Il est le plus jeune des 46 élèves inscrits en première année, mais surtout l’un des plus inexpérimentés. Gvasalia, 21 ans, n’a jamais fait de mode, ni de vêtement. Son style personnel ? Pas grand-chose. « Je me souviens juste qu’il portait beaucoup de noir, des vêtements amples, la plupart du temps des habits de seconde main », dit Helena Lumelsky, l’une de ses amis les plus proches à l’époque. À Anvers, le cursus est réputé pour sa di culté et sa brutalité. Sur la quarantaine d’élèves inscrits en première année, il n’en reste souvent plus qu’une dizaine quatre ans plus tard, au moment de récupérer son diplôme. Pourtant, dans la classe du Géorgien, une forme de camaraderie semble vite prendre forme. « Nous nous soutenions mutuellement, se souvient Arienne Birchler, autre proche de Demna dans cette promotion. Nous avions tous des profils complètement différents, nos personnalités étaient complémentaires et rendaient le groupe spécial. » Une bande d’amis se dessine, studieuse, appliquée. « Nous vivions 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour nos études. Le soir, nous mangions souvent ensemble au milieu des planches à dessin. C’est marrant, je revois encore Demna nous apprendre à plier une boulette khinkali et cuisiner plein d’autres recettes géorgiennes… »

En classe, le travail de Demna Gvasalia détonne déjà. Alors que tous les élèves utilisent la machine, lui aime coudre à la main. À l’instinct, il coupe, monte, pique. « Dès qu’il le pouvait, Demna zappait l’étape des moodboards et des croquis, décrypte Helena Lumelski. Il faisait directement des essais avec les tissus qu’il avait récupérés. Finalement, ce n’est qu’après qu’il trouvait des inspirations pour raisonner son travail. Les professeurs le laissaient faire parce que le résultat était toujours à la hauteur. » La touche Gvasalia, celle qui fera plus tard les beaux jours de Vêtements puis de Balenciaga, apparaît doucement sous les yeux de ses amis et enseignants. « Ses vêtements étaient structurés, avec des volumes intéressants, juge sa professeure de design en quatrième année, la légendaire Linda Loppa. Et puis il y avait déjà cette déconstruction et cette sorte de fluidité qui lui sont propres… » Demna Gvasalia est prêt pour intégrer une maison.

En 2009, après avoir travaillé quelques mois chez son ancien professeur Walter Van Beirendonck et présenté une collection femme, jamais commercialisée, à la fashion week de Tokyo, Demna Gvasalia est embauché chez Martin Margiela. Là-bas, il rencontre quelques-uns de ses futurs fidèles, tels la maquilleuse Inge Grognard, le photographe Mark Borthwick, ou encore son assistante Martina Tiefenthaler, encore à ses côtés aujourd’hui chez Balenciaga. En 2012, nouveau transfert. Cette fois, Gvasalia passe chez Louis Vuitton, nommé en charge de la partie tailleur. « Il n’était pas du tout connu à l’époque, mais on sentait qu’il avait déjà un ego important, et des avis tranchés », se souvient une petite main du studio. Problème, le directeur artistique de la marque, Marc Jacobs, est en fin de cycle chez Vuitton, et plus occupé à célébrer sa future sortie qu’à se remettre en cause. Le caractère introverti de Gvasalia, et la froideur dont il peut parfois faire montre envers ses collègues, n’aident pas. « Demna a eu du mal à trouver sa place dans le studio », résume poliment Julie de Libran, bras droit de Marc Jacobs à l’époque. L’arrivée de Nicolas Ghesquière chez Vuitton n’améliorera pas sa situation. Demna Gvasalia l’avouera lui-même plus tard sans détour : « On détestait nos boulots. On a décidé de lancer un projet qui nous permettrait de faire les collections qui nous plaisaient. »

 

DE PARIS À ZURICH
Ce « on » désigne une petite bande, des créateurs, des déracinés pour la plupart, animés par l’envie d’une autre mode. À côté de Demna Gvasalia et de son frère, Guram, ils sont une demi-douzaine, presque tous encore sous contrat dans des maisons de mode, à donner vie à Vêtements, le 12 décembre 2013. Plus qu’une marque, ils sont un collectif anonyme, mouvant, artisanal. Sous la houlette de Demna Gvasalia, ils chinent des pièces dans des friperies ou surplus militaires qu’ils retravaillent selon leurs goûts, pour habiller leurs amis. Près de la rue Poissonnière, l’appartement du Géorgien sert de studio. Journaliste de l’émission La Mode La Mode La Mode sur Paris Première, Zoé Michel se souvient du premier sujet consacré à la marque, à la veille du premier défilé : « Ils s’affairaient dans tous les coins, les looks avaient été imprimés à l’arrache et scotchés au mur. C’était comme une collection d’étudiant, mais en beaucoup plus précis. » Le photographe Pierre-Ange Carlotti, la styliste Lotta Volkova et la DJ Clara 3000 sont là, comme ils sont de toutes les sorties. Chaque soir ou presque, les amis trinquent dans les bars du quartier. « Clara finissait toujours par trouver un club obscur, régulièrement des boîtes africaines de Château d’Eau, pour que l’on poursuive la nuit, se remémore l’un des noctambules de la bande. L’affaire se terminait très souvent chez Demna. »

En mars 2015, le second défilé du collectif, au Dépôt, un célèbre club gay du Marais, marque un tournant. Uniformes de pompier et de surveillant pénitentiaire, volumes généreux et épaules exagérées, casting d’inconnus et lieu insolite : sous l’œil de Jared Leto, Kanye West et Anna Wintour, Demna Gvasalia imprime sa marque. « Il y avait une énergie dingue, ils ont ringardisé tous les autres presque immédiatement », se souvient le journaliste Loïc Prigent.

Le succès arrive, brutalement. Aspiré par le travail, Demna Gvasalia passe ses journées dans le nouveau studio de la marque, un vrai, enfin, rue de Maubeuge, dans le IX e arrondissement parisien. « C’était dans un entresol avec une salle à l’entrée puis une seconde en sous-sol, se rappelle Nicoleta Iliescu, qui assiste les frères Gvasalia dès le début de l’année 2015. Il y avait de la musique tout le temps, du rock, du R’n’B, même Britney Spears. » L’ambiance est décontractée, mais intense. Les journées de travail commencent souvent à 9 heures et terminent régulièrement tard dans la nuit, du lundi au samedi. Demna Gvasalia renoue avec la méthode de création éprouvée à Anvers. « Ça partait souvent d’une blague : “Imaginez qu’on fasse ça ! Ça serait fou !” Puis, quelqu’un développait l’idée et l’amenait encore plus loin. Tout était très spontané, dans l’interaction, rien ne se faisait par email », ajoute Nicoleta Iliescu. Le fameux t-shirt DHL, les escarpins au talon briquet, ou encore un ensemble western aux épaules de footballeur américain, naissent de ces innombrables discussions.

Kanye West est fasciné par ce qu’il voit. Invité en mars 2015 au défilé Dior prêt-à-porter automne-hiver, la star se présente sur les pavés de la Cour carrée du Louvre dans un hoodie Vêtements noir. Plus tard, lors d’une présentation presse, l’Américain débarque, se pose dans un coin et s’enfile des ailes de poulet tandis que les rédacteurs de mode s’extasient sur la collection. « Je revois Demna nous dire quand son téléphone sonnait : “Mon Dieu, c’est Kanye !”, se souvient un proche. Ils se parlaient énormément, quatre heures par jour parfois, il y avait une estime réciproque entre eux. »

 

DE VÊTEMENTS À BALENCIAGA
En 2015, après seulement trois collections chez Vêtements, Demna Gvasalia fait déjà le grand saut : il prend la tête de la direction artistique de Balenciaga. L’enjeu est double. Lui doit prouver qu’il peut décliner sa vision à l’échelle d’une grande maison, tandis que Balenciaga, en perte de vitesse depuis le départ de Nicolas Ghesquière, en 2012, remet son destin entre les mains d’un créateur émergent. Malgré la pression, Gvasalia semble aussi décontracté qu’à son habitude. « Il m’a tout de suite demandé de le tutoyer », se souvient un membre de l’équipe.

Demna Gvasalia peut compter sur l’appui de sa bande, de plus en plus étoffée. Lotta Volkova, la styliste historique de Vêtements, est bien là, comme Maud Escudie, sa mannequin cabine fétiche, fan d’escalade et véritable muse. Son premier défilé masculin est axé autour du tailoring et de pièces d’inspiration vintage aux proportions repensées. La figure du gopnik, ce petit voyou russe en trois-quarts cuir, survêtement en polyester et chaussures de ville en cuir, n’est pas loin. « Pendant les répétitions, sur fond de musique russe, Lotta et Demna étaient à la fois très concentrés mais aussi très détendus, détaille un des mannequins. On voyait qu’ils essayaient des choses et s’amusaient à mixer les codes de Balenciaga et l’univers de Demna. »

C’est le temps de l’insouciance et de la légèreté. Le Géorgien, qui a dû fuir la guerre civile et les massacres qui secouaient son pays au tout début des années 1990, alors qu’il avait à peine plus de 10 ans, est dans le système, mais résiste encore à celui-ci. « Son parcours et cette impression d’être un peu à la marge ont longtemps permis à Demna de prendre les choses avec du recul… », analyse un membre de sa garde rapprochée. Un soir à Londres, alors que Demna Gvasalia est dans un club avec quelques amis, un garçon vêtu d’un sweat Balenciaga s’approche de lui : « J’adore ce que tu fais mais tu n’as pas un discount ? Parce que presque 1000 euros le sweat, c’est compliqué... » Le créateur répond du tac au tac : « 1000 euros ? Mais ça ne va pas, le sweat que je porte, moi, en coûte 20 ! » Une autre fois, à un journal anglais qui lui demande s’il achèterait lui-même ses propres vêtements au prix fort, le Géorgien répondra qu’il « partirait plutôt en vacances » avec cet argent. Et pourquoi pas ?

L’arrivée à la tête de Balenciaga sonne bientôt pour le natif de Soukhoumi, en Géorgie, au bord la mer Noire, la fin de l’insouciance. Lors de l’after party de son premier défilé Balenciaga, le Géorgien est assailli par les demandes de selfies, les mains sur les épaules, les bisous, les « amazing », le cirque habituel. Perdu sous les flashs, comme un lapin pris dans les phares d’une voiture, il est exfiltré par les membres de l’équipe évènementielle, comme on le fait avec les rock stars. « C’est quoi, ça ? », demande-t-il, sous le choc. « Tu es devenu célèbre », lui répond-on.

Gvasalia prend peur. Aux côtés de l’artiste Loïk Gomez, qui deviendra bientôt son mari, le Géorgien prend ses distances avec la nuit et la fête. Il arrête l’alcool et la cigarette, devient végétarien. « Il en avait ras-le-bol de ce petit monde de la mode, il avait envie de se mettre au vert », décrypte un proche. Bientôt, peu avant de rompre avec Vêtements, Demna Gvasalia quitte Paris avec son mari et leurs deux chihuahuas. Direction Zurich, la Suisse, ses soirées calmes et sa fiscalité accueillante. Là-bas, le couple s’installe dans une maison sur les hauteurs boisées de la ville. Pour travailler, Demna Gvasalia ne se déplace même plus à Paris, « cette ville qui tue la créativité avec son environnement “bling bling”, destructeur et artificiel », dira-t-il dans un journal allemand.

Désormais, on vient à lui. Chaque semaine, les équipes de Balenciaga lui rendent visite en embarquant à l’aube gare de Lyon, dans un train Lyria. Un studio est aménagé dans les bureaux d’un immeuble sans âme du centre de Zurich, au milieu des banques et des cabinets d’affaires. À chaque fois, le même barnum. On monte des tables et des portants, on déballe des sacs et des valises pleines de concepts, de matières, d’idées. Puis, quand tout est fini, on remballe et on débarrasse l’endroit, comme si rien ne s’était passé. Jusqu’à la prochaine visite, la semaine suivante. C’est un rythme terrible qui en épuise plus d’un parmi les designers. Mais personne ne se plaint. Parce que c’est Demna, « le meilleur », disent-ils tous.

 

DE BALENCIAGA À DEMNA
Mais pourquoi, « le meilleur » ? Pourquoi lui ? Est-ce parce que ses silhouettes sont plus reconnaissables que les autres ? Ou parce que ses concepts et ses images font chaque semaine le tour du monde ? Plus simplement, Demna Gvasalia est-il le meilleur parce qu’il a réussi à imposer sa mode partout, bien au-delà des cercles habituellement autorisés, et ainsi multiplié par cinq le chiffre d’affaires annuel de Balenciaga, frôlant désormais les deux milliards d’euros ? « Ce qui est impressionnant, c’est que Demna a toujours des idées, répond simplement une ancienne du studio. Il alimente ses designers en permanence. Un jour, il peut arriver avec une image d’Arnold Schwarzenegger moulé dans un t-shirt, et leur demander de faire des recherches en 3D, comme ça, directement. Il ne veut pas de croquis, ce qui compte pour lui, ce sont les objets, les maquettes, les tests organiques. Il prend une paire de ciseaux, demande à ce qu’on lui apporte du spandex et explore avec ses mains. Ensuite, les maquettes sont emmenées à l’atelier. »

À Paris, rue de Sèvres, les ateliers Balenciaga débordent en permanence de pièces de fripes et de rouleaux de tissus. Au fil des expérimentations, les designers, ou le créateur lui-même, viennent découdre une manche ou un col pour les greffer sur une pièce en construction. C’est un joyeux chaos qui donne vie à des pièces que personne n’avait, à tort ou à raison, jamais envisagé de produire, ni même de porter. C’est d’ailleurs comme ça, raconte la légende, que serait née la Triple S, fameuse basket-prothèse faite de trois semelles différentes. On dit que Demna Gvasalia lui aurait donné vie en collant ensemble des morceaux de différentes chaussures prédécoupés. La paire sera dévoilée en janvier 2017. Fabriquée en Italie, elle est vendue près de 700 euros. L’année suivante, sa production est délocalisée en Chine, officiellement pour la rendre plus légère, sans que le prix de vente ne baisse. Pourquoi se gêner, après tout ? Vendue à prix d’or, la Triple S deviendra une manne pour Balenciaga, et cela pour le plus grand plaisir de son créateur, homme de chiffres avisé. « Avec lui, le “make it happen” du créateur tout puissant et déconnecté des réalités économiques n’existe pas. On est dans une discussion, avec des demandes cohérentes et réalistes d’un point de vue financier, qu’il est disposé à expliquer si besoin », dit une collaboratrice.

Titulaire d’une licence d’économie décrochée à l’université de Tbilissi, le Géorgien avait un temps, avant de rejoindre l’Académie d’Anvers, envisagé de faire carrière dans la finance ou la banque, encouragé par son père. Vingt ans plus tard, le voilà donc créateur le plus influent du moment, à la tête d’une maison surpuissante prête à exaucer tous ses fantasmes et à financer tous ses projets. En juillet dernier, c’était la haute couture, relancée par Balenciaga après 53 ans d’abstinence. Dans un silence religieux, au cœur des salons historiques de la marque magnifiquement réhabilités pour l’occasion, au 10 avenue George-V, 63 silhouettes défilent, sous l’égide d’un Cristóbal Balenciaga allègrement référencé. Parmi elles, quelques hommes habillés de costumes noirs, outranciers, déformés. Pour les concevoir, Demna Gvasalia et son équipe ont contact avec les meilleurs tailleurs de Savile Row. Ils ont montré une photo de Marc Jacobs prise en 2019, lors des MTV Video Music Awards. Sur celle-ci, le créateur porte un spectaculaire costume vert aux vertigineuses épaules pagode. C’est la référence à partir de laquelle Demna Gvasalia veut travailler pour concevoir ses modèles. Après plusieurs refus, c’est finalement la maison Huntsman, celle-là même qui avait fabriqué le costume originel de Marc Jacobs, qui acceptera de s’y coller et de plancher sur une dizaine de modèles, certains nécessitant jusqu’à huit couches d’entoilage. Rien n’est laissé au hasard, jusque dans les moindres détails. Pour le même défilé, Demna Gvasalia fait aussi appeler Gammarelli, le fabricant des chaussettes du Vatican depuis des décennies. « Nous avons lancé de nombreux prototypages, raconte Jacques Tiberghien, co-fondateur de Mes Chaussettes Rouges, partenaire parisien de la marque italienne. Au final, Demna a opté pour une paire très simple, très proche du modèle iconique, jusque dans l’aspect du tampon traditionnel des deux marques… »

Et maintenant, quoi ? Comment ? Ceux qui fréquentent le créateur pronostiquent souvent qu’il ne fera pas éternellement de la mode, et que le monde du luxe, si éloigné de ses racines et de ses aspirations intimes, finira par le lasser. D’autres s’interrogent : la recherche de la gloire personnelle, et de l’exposition médiatique, finira-t-elle par le rattraper, après tant d’années de résistance ? Pas sûr. Septembre dernier, à New York : Balenciaga a réservé une table à un demi-million de dollars pour le dîner du fameux MET Gala. La pharaonique dépense permet à Demna Gvasalia et son équipe de braver le travel ban imposé par les États-Unis à cause du Covid-19 pour venir assister à la cérémonie. Mais, à quelques heures de l'événement, c’est dans une banale laverie de Manhattan que plusieurs membres de la délégation s’activent. Pendant des heures, ils lavent, et relavent encore un hoodie noir informe. Le soir même, aux côtés de Kim Kardashian, apparaît une ombre, planquée derrière une capuche grisée par les lessives successives, le visage caché par le tissu noir, iconique mais insaisissable, là sans l’être... Demna Gvasalia ? Oui. Mais dites plutôt Demna. ♦

À la tête de la maison de mode Balenciaga, le directeur artistique géorgien crée des vêtements importables que tout le monde s’arrache. Mais comment fait-il ?

Par Gino Delmas et Thibault Barle
Article originellement paru dans le numéro 7 de L'Etiquette

 

Ne dites pas « Demna Gvasalia ». Dites « Demna », tout simplement. L’air de rien et le plus naturellement du monde. Dites « Demna » comme si, bien sûr, vous le connaissiez. D’ailleurs, vous le connaissez forcément. Depuis des mois, la mode ne parle que de lui, d’événement en coup d’éclat et de coup d’éclat en buzz retentissant. Juillet, à Paris : Demna livre un défilé haute couture grandiose, le premier de Balenciaga depuis 1967. Août, à Atlanta : Demna met en scène le show épique de Kanye West à l’occasion de la sortie de son album Donda. Septembre, à New York : Demna fait l’actualité en cachant Kim Kardashian derrière une combinaison intégrale, en spandex noir, lors du Met Gala. Octobre, de retour à Paris : Demna dévoile sa nouvelle collection dans le cadre d’un épisode inédit des Simpson, dédié à Balenciaga. Que nous réserve Demna pour novembre ? Et décembre ? Certains trépignent, on s’interroge.

Qui est cet homme ? Comment travaille-t-il ? Que faut-il voir dans son succès retentissant, à la fois critique, populaire et économique ? Surtout, en quoi consiste son génie ? Est-ce celui d’un homme de marketing sachant tirer les bonnes ficelles ou celui d’un artiste contemporain visionnaire en phase totale avec une époque qui rebat le goût ? Est-il en mission, comme le prophétise un proche camarade de jeu, pour « démocratiser la mode », à défaut de démocratiser ses prix ? Ou ambitionne-t-il plutôt, comme le prétend un autre, de « changer radicalement la silhouette » des gens ? Tant de questions, mais une évidence : quoi qu’on pense de ses vêtements, Demna Gvasalia est fascinant. Pardon. Demna est fascinant.

 

D’ANVERS À PARIS
Cette histoire-là, son histoire avec la mode, commence en Belgique, en septembre 2003. Le Géorgien fait son entrée à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, réputée pour avoir couvé, entre autres, Dries Van Noten, Martin Margiela et Raf Simons. Il est le plus jeune des 46 élèves inscrits en première année, mais surtout l’un des plus inexpérimentés. Gvasalia, 21 ans, n’a jamais fait de mode, ni de vêtement. Son style personnel ? Pas grand-chose. « Je me souviens juste qu’il portait beaucoup de noir, des vêtements amples, la plupart du temps des habits de seconde main », dit Helena Lumelsky, l’une de ses amis les plus proches à l’époque. À Anvers, le cursus est réputé pour sa di culté et sa brutalité. Sur la quarantaine d’élèves inscrits en première année, il n’en reste souvent plus qu’une dizaine quatre ans plus tard, au moment de récupérer son diplôme. Pourtant, dans la classe du Géorgien, une forme de camaraderie semble vite prendre forme. « Nous nous soutenions mutuellement, se souvient Arienne Birchler, autre proche de Demna dans cette promotion. Nous avions tous des profils complètement différents, nos personnalités étaient complémentaires et rendaient le groupe spécial. » Une bande d’amis se dessine, studieuse, appliquée. « Nous vivions 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour nos études. Le soir, nous mangions souvent ensemble au milieu des planches à dessin. C’est marrant, je revois encore Demna nous apprendre à plier une boulette khinkali et cuisiner plein d’autres recettes géorgiennes… »

En classe, le travail de Demna Gvasalia détonne déjà. Alors que tous les élèves utilisent la machine, lui aime coudre à la main. À l’instinct, il coupe, monte, pique. « Dès qu’il le pouvait, Demna zappait l’étape des moodboards et des croquis, décrypte Helena Lumelski. Il faisait directement des essais avec les tissus qu’il avait récupérés. Finalement, ce n’est qu’après qu’il trouvait des inspirations pour raisonner son travail. Les professeurs le laissaient faire parce que le résultat était toujours à la hauteur. » La touche Gvasalia, celle qui fera plus tard les beaux jours de Vêtements puis de Balenciaga, apparaît doucement sous les yeux de ses amis et enseignants. « Ses vêtements étaient structurés, avec des volumes intéressants, juge sa professeure de design en quatrième année, la légendaire Linda Loppa. Et puis il y avait déjà cette déconstruction et cette sorte de fluidité qui lui sont propres… » Demna Gvasalia est prêt pour intégrer une maison.

En 2009, après avoir travaillé quelques mois chez son ancien professeur Walter Van Beirendonck et présenté une collection femme, jamais commercialisée, à la fashion week de Tokyo, Demna Gvasalia est embauché chez Martin Margiela. Là-bas, il rencontre quelques-uns de ses futurs fidèles, tels la maquilleuse Inge Grognard, le photographe Mark Borthwick, ou encore son assistante Martina Tiefenthaler, encore à ses côtés aujourd’hui chez Balenciaga. En 2012, nouveau transfert. Cette fois, Gvasalia passe chez Louis Vuitton, nommé en charge de la partie tailleur. « Il n’était pas du tout connu à l’époque, mais on sentait qu’il avait déjà un ego important, et des avis tranchés », se souvient une petite main du studio. Problème, le directeur artistique de la marque, Marc Jacobs, est en fin de cycle chez Vuitton, et plus occupé à célébrer sa future sortie qu’à se remettre en cause. Le caractère introverti de Gvasalia, et la froideur dont il peut parfois faire montre envers ses collègues, n’aident pas. « Demna a eu du mal à trouver sa place dans le studio », résume poliment Julie de Libran, bras droit de Marc Jacobs à l’époque. L’arrivée de Nicolas Ghesquière chez Vuitton n’améliorera pas sa situation. Demna Gvasalia l’avouera lui-même plus tard sans détour : « On détestait nos boulots. On a décidé de lancer un projet qui nous permettrait de faire les collections qui nous plaisaient. »

 

DE PARIS À ZURICH
Ce « on » désigne une petite bande, des créateurs, des déracinés pour la plupart, animés par l’envie d’une autre mode. À côté de Demna Gvasalia et de son frère, Guram, ils sont une demi-douzaine, presque tous encore sous contrat dans des maisons de mode, à donner vie à Vêtements, le 12 décembre 2013. Plus qu’une marque, ils sont un collectif anonyme, mouvant, artisanal. Sous la houlette de Demna Gvasalia, ils chinent des pièces dans des friperies ou surplus militaires qu’ils retravaillent selon leurs goûts, pour habiller leurs amis. Près de la rue Poissonnière, l’appartement du Géorgien sert de studio. Journaliste de l’émission La Mode La Mode La Mode sur Paris Première, Zoé Michel se souvient du premier sujet consacré à la marque, à la veille du premier défilé : « Ils s’affairaient dans tous les coins, les looks avaient été imprimés à l’arrache et scotchés au mur. C’était comme une collection d’étudiant, mais en beaucoup plus précis. » Le photographe Pierre-Ange Carlotti, la styliste Lotta Volkova et la DJ Clara 3000 sont là, comme ils sont de toutes les sorties. Chaque soir ou presque, les amis trinquent dans les bars du quartier. « Clara finissait toujours par trouver un club obscur, régulièrement des boîtes africaines de Château d’Eau, pour que l’on poursuive la nuit, se remémore l’un des noctambules de la bande. L’affaire se terminait très souvent chez Demna. »

En mars 2015, le second défilé du collectif, au Dépôt, un célèbre club gay du Marais, marque un tournant. Uniformes de pompier et de surveillant pénitentiaire, volumes généreux et épaules exagérées, casting d’inconnus et lieu insolite : sous l’œil de Jared Leto, Kanye West et Anna Wintour, Demna Gvasalia imprime sa marque. « Il y avait une énergie dingue, ils ont ringardisé tous les autres presque immédiatement », se souvient le journaliste Loïc Prigent.

Le succès arrive, brutalement. Aspiré par le travail, Demna Gvasalia passe ses journées dans le nouveau studio de la marque, un vrai, enfin, rue de Maubeuge, dans le IX e arrondissement parisien. « C’était dans un entresol avec une salle à l’entrée puis une seconde en sous-sol, se rappelle Nicoleta Iliescu, qui assiste les frères Gvasalia dès le début de l’année 2015. Il y avait de la musique tout le temps, du rock, du R’n’B, même Britney Spears. » L’ambiance est décontractée, mais intense. Les journées de travail commencent souvent à 9 heures et terminent régulièrement tard dans la nuit, du lundi au samedi. Demna Gvasalia renoue avec la méthode de création éprouvée à Anvers. « Ça partait souvent d’une blague : “Imaginez qu’on fasse ça ! Ça serait fou !” Puis, quelqu’un développait l’idée et l’amenait encore plus loin. Tout était très spontané, dans l’interaction, rien ne se faisait par email », ajoute Nicoleta Iliescu. Le fameux t-shirt DHL, les escarpins au talon briquet, ou encore un ensemble western aux épaules de footballeur américain, naissent de ces innombrables discussions.

Kanye West est fasciné par ce qu’il voit. Invité en mars 2015 au défilé Dior prêt-à-porter automne-hiver, la star se présente sur les pavés de la Cour carrée du Louvre dans un hoodie Vêtements noir. Plus tard, lors d’une présentation presse, l’Américain débarque, se pose dans un coin et s’enfile des ailes de poulet tandis que les rédacteurs de mode s’extasient sur la collection. « Je revois Demna nous dire quand son téléphone sonnait : “Mon Dieu, c’est Kanye !”, se souvient un proche. Ils se parlaient énormément, quatre heures par jour parfois, il y avait une estime réciproque entre eux. »

 

DE VÊTEMENTS À BALENCIAGA
En 2015, après seulement trois collections chez Vêtements, Demna Gvasalia fait déjà le grand saut : il prend la tête de la direction artistique de Balenciaga. L’enjeu est double. Lui doit prouver qu’il peut décliner sa vision à l’échelle d’une grande maison, tandis que Balenciaga, en perte de vitesse depuis le départ de Nicolas Ghesquière, en 2012, remet son destin entre les mains d’un créateur émergent. Malgré la pression, Gvasalia semble aussi décontracté qu’à son habitude. « Il m’a tout de suite demandé de le tutoyer », se souvient un membre de l’équipe.

Demna Gvasalia peut compter sur l’appui de sa bande, de plus en plus étoffée. Lotta Volkova, la styliste historique de Vêtements, est bien là, comme Maud Escudie, sa mannequin cabine fétiche, fan d’escalade et véritable muse. Son premier défilé masculin est axé autour du tailoring et de pièces d’inspiration vintage aux proportions repensées. La figure du gopnik, ce petit voyou russe en trois-quarts cuir, survêtement en polyester et chaussures de ville en cuir, n’est pas loin. « Pendant les répétitions, sur fond de musique russe, Lotta et Demna étaient à la fois très concentrés mais aussi très détendus, détaille un des mannequins. On voyait qu’ils essayaient des choses et s’amusaient à mixer les codes de Balenciaga et l’univers de Demna. »

C’est le temps de l’insouciance et de la légèreté. Le Géorgien, qui a dû fuir la guerre civile et les massacres qui secouaient son pays au tout début des années 1990, alors qu’il avait à peine plus de 10 ans, est dans le système, mais résiste encore à celui-ci. « Son parcours et cette impression d’être un peu à la marge ont longtemps permis à Demna de prendre les choses avec du recul… », analyse un membre de sa garde rapprochée. Un soir à Londres, alors que Demna Gvasalia est dans un club avec quelques amis, un garçon vêtu d’un sweat Balenciaga s’approche de lui : « J’adore ce que tu fais mais tu n’as pas un discount ? Parce que presque 1000 euros le sweat, c’est compliqué... » Le créateur répond du tac au tac : « 1000 euros ? Mais ça ne va pas, le sweat que je porte, moi, en coûte 20 ! » Une autre fois, à un journal anglais qui lui demande s’il achèterait lui-même ses propres vêtements au prix fort, le Géorgien répondra qu’il « partirait plutôt en vacances » avec cet argent. Et pourquoi pas ?

L’arrivée à la tête de Balenciaga sonne bientôt pour le natif de Soukhoumi, en Géorgie, au bord la mer Noire, la fin de l’insouciance. Lors de l’after party de son premier défilé Balenciaga, le Géorgien est assailli par les demandes de selfies, les mains sur les épaules, les bisous, les « amazing », le cirque habituel. Perdu sous les flashs, comme un lapin pris dans les phares d’une voiture, il est exfiltré par les membres de l’équipe évènementielle, comme on le fait avec les rock stars. « C’est quoi, ça ? », demande-t-il, sous le choc. « Tu es devenu célèbre », lui répond-on.

Gvasalia prend peur. Aux côtés de l’artiste Loïk Gomez, qui deviendra bientôt son mari, le Géorgien prend ses distances avec la nuit et la fête. Il arrête l’alcool et la cigarette, devient végétarien. « Il en avait ras-le-bol de ce petit monde de la mode, il avait envie de se mettre au vert », décrypte un proche. Bientôt, peu avant de rompre avec Vêtements, Demna Gvasalia quitte Paris avec son mari et leurs deux chihuahuas. Direction Zurich, la Suisse, ses soirées calmes et sa fiscalité accueillante. Là-bas, le couple s’installe dans une maison sur les hauteurs boisées de la ville. Pour travailler, Demna Gvasalia ne se déplace même plus à Paris, « cette ville qui tue la créativité avec son environnement “bling bling”, destructeur et artificiel », dira-t-il dans un journal allemand.

Désormais, on vient à lui. Chaque semaine, les équipes de Balenciaga lui rendent visite en embarquant à l’aube gare de Lyon, dans un train Lyria. Un studio est aménagé dans les bureaux d’un immeuble sans âme du centre de Zurich, au milieu des banques et des cabinets d’affaires. À chaque fois, le même barnum. On monte des tables et des portants, on déballe des sacs et des valises pleines de concepts, de matières, d’idées. Puis, quand tout est fini, on remballe et on débarrasse l’endroit, comme si rien ne s’était passé. Jusqu’à la prochaine visite, la semaine suivante. C’est un rythme terrible qui en épuise plus d’un parmi les designers. Mais personne ne se plaint. Parce que c’est Demna, « le meilleur », disent-ils tous.

 

DE BALENCIAGA À DEMNA
Mais pourquoi, « le meilleur » ? Pourquoi lui ? Est-ce parce que ses silhouettes sont plus reconnaissables que les autres ? Ou parce que ses concepts et ses images font chaque semaine le tour du monde ? Plus simplement, Demna Gvasalia est-il le meilleur parce qu’il a réussi à imposer sa mode partout, bien au-delà des cercles habituellement autorisés, et ainsi multiplié par cinq le chiffre d’affaires annuel de Balenciaga, frôlant désormais les deux milliards d’euros ? « Ce qui est impressionnant, c’est que Demna a toujours des idées, répond simplement une ancienne du studio. Il alimente ses designers en permanence. Un jour, il peut arriver avec une image d’Arnold Schwarzenegger moulé dans un t-shirt, et leur demander de faire des recherches en 3D, comme ça, directement. Il ne veut pas de croquis, ce qui compte pour lui, ce sont les objets, les maquettes, les tests organiques. Il prend une paire de ciseaux, demande à ce qu’on lui apporte du spandex et explore avec ses mains. Ensuite, les maquettes sont emmenées à l’atelier. »

À Paris, rue de Sèvres, les ateliers Balenciaga débordent en permanence de pièces de fripes et de rouleaux de tissus. Au fil des expérimentations, les designers, ou le créateur lui-même, viennent découdre une manche ou un col pour les greffer sur une pièce en construction. C’est un joyeux chaos qui donne vie à des pièces que personne n’avait, à tort ou à raison, jamais envisagé de produire, ni même de porter. C’est d’ailleurs comme ça, raconte la légende, que serait née la Triple S, fameuse basket-prothèse faite de trois semelles différentes. On dit que Demna Gvasalia lui aurait donné vie en collant ensemble des morceaux de différentes chaussures prédécoupés. La paire sera dévoilée en janvier 2017. Fabriquée en Italie, elle est vendue près de 700 euros. L’année suivante, sa production est délocalisée en Chine, officiellement pour la rendre plus légère, sans que le prix de vente ne baisse. Pourquoi se gêner, après tout ? Vendue à prix d’or, la Triple S deviendra une manne pour Balenciaga, et cela pour le plus grand plaisir de son créateur, homme de chiffres avisé. « Avec lui, le “make it happen” du créateur tout puissant et déconnecté des réalités économiques n’existe pas. On est dans une discussion, avec des demandes cohérentes et réalistes d’un point de vue financier, qu’il est disposé à expliquer si besoin », dit une collaboratrice.

Titulaire d’une licence d’économie décrochée à l’université de Tbilissi, le Géorgien avait un temps, avant de rejoindre l’Académie d’Anvers, envisagé de faire carrière dans la finance ou la banque, encouragé par son père. Vingt ans plus tard, le voilà donc créateur le plus influent du moment, à la tête d’une maison surpuissante prête à exaucer tous ses fantasmes et à financer tous ses projets. En juillet dernier, c’était la haute couture, relancée par Balenciaga après 53 ans d’abstinence. Dans un silence religieux, au cœur des salons historiques de la marque magnifiquement réhabilités pour l’occasion, au 10 avenue George-V, 63 silhouettes défilent, sous l’égide d’un Cristóbal Balenciaga allègrement référencé. Parmi elles, quelques hommes habillés de costumes noirs, outranciers, déformés. Pour les concevoir, Demna Gvasalia et son équipe ont contact avec les meilleurs tailleurs de Savile Row. Ils ont montré une photo de Marc Jacobs prise en 2019, lors des MTV Video Music Awards. Sur celle-ci, le créateur porte un spectaculaire costume vert aux vertigineuses épaules pagode. C’est la référence à partir de laquelle Demna Gvasalia veut travailler pour concevoir ses modèles. Après plusieurs refus, c’est finalement la maison Huntsman, celle-là même qui avait fabriqué le costume originel de Marc Jacobs, qui acceptera de s’y coller et de plancher sur une dizaine de modèles, certains nécessitant jusqu’à huit couches d’entoilage. Rien n’est laissé au hasard, jusque dans les moindres détails. Pour le même défilé, Demna Gvasalia fait aussi appeler Gammarelli, le fabricant des chaussettes du Vatican depuis des décennies. « Nous avons lancé de nombreux prototypages, raconte Jacques Tiberghien, co-fondateur de Mes Chaussettes Rouges, partenaire parisien de la marque italienne. Au final, Demna a opté pour une paire très simple, très proche du modèle iconique, jusque dans l’aspect du tampon traditionnel des deux marques… »

Et maintenant, quoi ? Comment ? Ceux qui fréquentent le créateur pronostiquent souvent qu’il ne fera pas éternellement de la mode, et que le monde du luxe, si éloigné de ses racines et de ses aspirations intimes, finira par le lasser. D’autres s’interrogent : la recherche de la gloire personnelle, et de l’exposition médiatique, finira-t-elle par le rattraper, après tant d’années de résistance ? Pas sûr. Septembre dernier, à New York : Balenciaga a réservé une table à un demi-million de dollars pour le dîner du fameux MET Gala. La pharaonique dépense permet à Demna Gvasalia et son équipe de braver le travel ban imposé par les États-Unis à cause du Covid-19 pour venir assister à la cérémonie. Mais, à quelques heures de l'événement, c’est dans une banale laverie de Manhattan que plusieurs membres de la délégation s’activent. Pendant des heures, ils lavent, et relavent encore un hoodie noir informe. Le soir même, aux côtés de Kim Kardashian, apparaît une ombre, planquée derrière une capuche grisée par les lessives successives, le visage caché par le tissu noir, iconique mais insaisissable, là sans l’être... Demna Gvasalia ? Oui. Mais dites plutôt Demna. ♦

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